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Interview de Lise Antunes Simoes

« Les filles de joie » – Le Magnolia – Tome 1

Fin du XIXème siècle : Comment une jeune fille de la petite bourgeoisie québécoise, éprise de liberté et un peu rebelle, en arrive à devoir quitter sa petite vie cossue de province, pour travailler enfermée dans une maison close à Montréal.

Victoire, l’héroïne de la saga « Les filles de joie » écrite par Lise Antunes Simoes, dont le Tome 1 « Le Magnolia » vient d’être publié en France (mai 2022), est une jeune fille de 17 ans insouciante, dynamique, gaie, pleine d’énergie, éprise de liberté mais qui trouve sa vie trop ordinaire. Elle refuse son destin tout tracé de femme au foyer dans la lignée de sa propre mère. Benjamine d’une fratrie de 4 enfants, elle en est la seule fille. Son père, Adémar, a travaillé dur toute sa vie pour sortir de sa condition de grande pauvreté. A force de travail, il est devenu un luthier renommé, a gravi l’échelle sociale et atteint un niveau important et reconnu dans et au-delà de la petite bourgeoisie de Boucherville, paisible ville située aux alentours de Montréal. Sa mère, totalement soumise à l’autorité du père ne soutien guère Victoire dans ses désirs d’émancipation, de même que sa meilleure amie qui tente, vainement, de lui rappeler les règles de leur monde bourgeois : mariage, enfants, famille… seulement, Victoire ne l’entend pas de cette oreille… !

En effet, la jeune fille, trop sûre d’elle et certainement un peu naïve, n’écoute personne et, sans avoir conscience des conséquences, elle « tente le diable ». En cachette, elle découvre la sexualité avec Germain, un apprenti de l’atelier de son père puis… tombe enceinte. Refusant catégoriquement de se marier, sa petite vie cossue de jeune bourgeoise de province va progressivement se dégrader. Elle était curieuse, idéaliste, recherchait naïvement une autre manière de vivre, ainsi que l’amour vrai, le frisson de l’interdit ; elle était prête à assumer sa sexualité hors mariage.

Mais elle a joué avec le feu, car, à cette époque, le cadre social est très fermé et son père ne peut supporter l’humiliation et l’affront suprême d’héberger sa fille, enceinte et sans mari. Victoire est alors chassée de sa famille, de sa ville et va devoir partir travailler seule enceinte à Montréal. Elle y travaillera durement comme ouvrière, sera chassée de son usine, chassée de son logement, comme elle l’avait été de sa famille. Libre mais seule et sans le sou, Victoire affamée et affaiblie n’aura d’autre choix que d’entrer au service de Madame Angèle tenancière d’une maison close.

Ce tome 1, qui fait partie d’une trilogie, pose le décor et l’histoire de la jeunesse de Victoire. Il décrit l’évolution d’une jeune fille ambitieuse et pleine de vie qui refuse le carcan du patriarcat. C’est également un roman historique décrivant la réalité d’une société cadenassée où les riches exploitent les pauvres (ou, au mieux, s’en désintéressent) et où une fille-mère ainsi que son enfant sont des parias toute leur vie.

L’auteur, Lise Antunes Simoes, qui a commencé à écrire à l’âge de 14 ans, s’est très rapidement passionnée pour le XIXème siècle.  Le sort des femmes à cette époque a captivé son intérêt car, en pleine révolution industrielle, elles avaient des droits très limités, une vie très encadrée et contrôlée par les hommes.  Rares étaient celles qui pouvaient sortir de cette pesante tutelle patriarcale, et encore plus rares étaient celles qui avaient une vie personnelle épanouie. La plupart d’entre elles étaient femmes au foyer, ouvrières, parfois artistes, ou prostituées. Dans ce roman, Lise Antunes Simoes décrit l’ambiance dans laquelle vivaient ces femmes dominées et rappelle que les prostituées étaient soumises à la tenancière d’une maison close où le client était roi. De plus, elles subissaient un enfermement strict et obligatoire organisé et surveillé par l’Etat.

Malgré le titre un peu sulfureux et le sujet traité, « Les filles de joie » est très loin d’être un roman sordide où le lecteur devient voyeur. C’est davantage un roman initiatique où l’héroïne s’interroge sur les règles pesantes imposées aux femmes de son temps. « Pourquoi n’a-t-elle pas le droit au plaisir ? », « Pourquoi est-il interdit de parler des choses du corps ? », « pourquoi faut-il nier le corps pour élever l’âme ? ». Victoire exprime également des commentaires personnels sur le monde qui l’entoure, tels : « de toutes façons, la curiosité ici… ce n’est pas vraiment une vertu », ou « on ne devrait jamais se priver volontairement de quelque chose qui est si bon », ou encore « Ne plus jamais avoir à répondre de mes décisions devant un père, un mari, un patron… ». Tout au long de la lecture, ses pensées personnelles forcent la réflexion.

L’auteur a choisi de faire travailler Victoire, dans une maison close de haut-standing, chic et bien tenue, dans laquelle les « filles » se soutiennent (y règne une grande sororité), où la solidarité l’emporte sur la compétition, mais où l’enfermement est bien réel. Victoire, jeune et belle, aura ainsi évité l’existence atroce des prostituées des maisons closes de bas étage et des bordels à soldats.

A la fin de ce premier tome, reste à savoir si Victoire, qui est entrée dans un système qui l’exploite, va pouvoir en sortir sans trop de dommages. Pour le savoir, il faudra attendre la parution des tomes 2 et 3 sur le sol français ou bien, aller chercher la réponse au Québec !

Mais, « Victoire » n’est-il pas synonyme de « Réussite », « Succès », voire de « Triomphe » ?

On est impatient de connaître la suite !

Anne GALLOU

Note de la rédactrice : Pour approfondir le sujet et en savoir davantage sur la passion de Lise Antunes Simoes pour le XIXème siècle et la vie des femmes à cette période, connectez-vous sur son blog très complet, riche et détaillé www.liseantunessimoes.com. Vous y trouverez beaucoup d’articles éclairants sur ses romans et pourrez lire un nouvel article tous les mercredis.