Histoire de l’apprentissage par le jeu : qui l’a inventé ?

Longtemps considérée comme une perte de temps, l’utilisation du jeu dans l’apprentissage a pourtant traversé toutes les époques et tous les continents. Les pédagogues du XIXe siècle n’ont pas inventé de toutes pièces cette approche, mais l’ont adaptée et théorisée à partir de pratiques bien plus anciennes.
En 1837, Friedrich Fröbel crée le premier jardin d’enfants où le jeu occupe une place centrale dans l’enseignement. Pourtant, des jeux éducatifs existent déjà dans la Chine ancienne et dans les écoles grecques. La formalisation du jeu comme outil d’apprentissage reste, encore aujourd’hui, un terrain d’expérimentation et de débats entre spécialistes.
Plan de l’article
- Des origines lointaines aux premiers jeux éducatifs : comment le jeu s’est imposé dans l’apprentissage
- Figures marquantes : qui sont les pédagogues à l’origine de l’apprentissage par le jeu ?
- Jeux éducatifs : panorama des formes et évolutions à travers les siècles
- Quels bénéfices aujourd’hui et pourquoi s’intéresser aux méthodes pédagogiques ludiques ?
Des origines lointaines aux premiers jeux éducatifs : comment le jeu s’est imposé dans l’apprentissage
Remonter le fil de l’apprentissage par le jeu, c’est traverser l’histoire humaine. Dès la préhistoire, les enfants imitent les adultes à travers des activités ludiques, mêlant gestes quotidiens et esprit de défi. L’antiquité n’est pas en reste : dans les cités grecques et romaines, les jeux d’osselets forment à la stratégie, les exercices physiques ou verbaux forgent la discipline et l’adresse. L’enfance s’apparente alors à un terrain d’expériences où le jeu façonne l’éducation, bien avant que le mot ne s’impose dans les traités pédagogiques.
Au moyen âge, l’école se structure, mais les jeux persistent, bondissant des pavés des rues aux cours de récréation. Face à la nécessité d’enseigner la lecture, l’écriture et le calcul, apparaissent les premiers jeux éducatifs : abécédaires en puzzle, tables de multiplication chantées ou mimées. Progressivement, l’idée s’ancre : apprendre peut rimer avec curiosité et plaisir, loin de la punition ou de la discipline sèche.
Puis vient la renaissance, et avec elle le souffle de l’humanisme. L’enfant retrouve une place centrale, son développement devient un enjeu social. Des pédagogues européens, nourris des échanges entre Florence et Paris, intègrent le jeu à l’éducation. Les premiers jeux de société à visée pédagogique voient le jour, instaurant les bases de la pédagogie active qui s’épanouira les siècles suivants.
Plus tard, l’époque moderne puis contemporaine accélèrent la cadence. En France, la création de l’école maternelle au XIXe siècle fait du jeu un pivot de l’éducation préscolaire. Les pédagogues imaginent des outils ludiques, du « bureau typographique » aux jeux de construction, pensés pour favoriser le développement de l’enfant et l’apprentissage de la vie en groupe. Le jeu devient à la fois instrument de transmission et miroir des évolutions de la civilisation.
Figures marquantes : qui sont les pédagogues à l’origine de l’apprentissage par le jeu ?
Impossible d’évoquer l’apprentissage par le jeu sans rappeler ceux qui ont marqué son histoire. Au XIXe siècle, Friedrich Fröbel bouleverse l’éducation de la petite enfance : il fonde le jardin d’enfants et imagine les Fröbelgaben, des objets conçus pour stimuler manipulation, observation et pensée symbolique. Son empreinte se devine encore aujourd’hui dans les écoles maternelles.
Au début du XXe siècle, Maria Montessori impose un autre regard sur l’enfant. Sa méthode, fondée sur l’autonomie et l’expérimentation, utilise des matériaux qui éveillent les sens et donnent à chaque élève l’envie de découvrir par lui-même. En France, Pauline Kergomard se bat pour que le jeu libre reste au cœur de l’éducation préscolaire : pour elle, l’école maternelle ne doit pas être un simple sas vers l’école primaire, mais un espace d’épanouissement.
Le XXe siècle s’enrichit de figures comme Ovide Decroly, chantre des méthodes actives, ou Célestin Freinet, qui prône l’expérience concrète et la coopération. Les sciences humaines s’invitent dans le débat : Roger Caillois et Johan Huizinga interrogent la place du jeu dans la société, tandis que Jean Piaget explore son rôle dans la construction de l’intelligence.
Avec Gilles Brougère ou Mihaly Csikszentmihalyi, de nouveaux horizons s’ouvrent : la théorie du flow, la ludification des apprentissages, la remise en question des frontières entre jeu et travail. De la salle de classe aux expériences virtuelles, une conviction tenace émerge : le jeu reste un levier de transformation pour l’éducation, hier comme aujourd’hui.
Jeux éducatifs : panorama des formes et évolutions à travers les siècles
Les jeux éducatifs se réinventent au fil des siècles, épousant les mutations sociales et les avancées techniques. Dans l’antiquité, les jeux d’adresse ou de hasard, transmis oralement, forment à la stratégie ou à la logique. Au moyen âge, l’alphabet hiéroglyphique et les premiers jeux de parcours ouvrent la voie à l’apprentissage ludique. L’arrivée du jeu d’échecs en Europe stimule la réflexion, tandis que le jeu de l’oie devient, à la renaissance, un outil pour enseigner morale ou religion.
À l’époque moderne, les frontières s’estompent entre savoir et plaisir. La grammaire latine en jeu de cartes, le bureau typographique ou encore le quadrille des enfants illustrent une créativité sans cesse renouvelée. Le XIXe siècle voit les Fröbelgaben transformer la maternelle et inspirer de nouveaux supports pédagogiques.
Le XXe siècle marque l’avènement des jeux de société éducatifs, puis, dès les années 1970, des jeux de rôle et de simulation. Viennent ensuite les serious games et les jeux vidéo éducatifs, qui ouvrent l’ère numérique : grammaire latine en version digitale, jeux de coopération en ligne, simulations scientifiques… Cette profusion traduit un dialogue permanent entre pédagogie et innovation, chaque époque réinterrogeant la place du jeu dans l’apprentissage, collectif ou individuel.
Quels bénéfices aujourd’hui et pourquoi s’intéresser aux méthodes pédagogiques ludiques ?
Jamais le jeu n’a autant investi le terrain de l’éducation. On le retrouve partout : de la maternelle à l’université, dans les entreprises, jusque dans la formation continue. Loin de n’être qu’un divertissement, il stimule la motivation et l’engagement. Les apports des neurosciences sont clairs : le plaisir et l’émotion favorisent la mémorisation durable. La notion de flow, formulée par Mihaly Csikszentmihalyi, décrit ce moment unique où l’apprenant, pleinement absorbé, ne ressent plus l’effort mais la satisfaction d’avancer.
Voici les principaux atouts mis en avant par les chercheurs, enseignants et formateurs :
- Développement de compétences : Les jeux éducatifs mobilisent la résolution de problèmes, la pensée critique, la flexibilité, autant d’aptitudes incontournables aujourd’hui.
- Socialisation : Les jeux de société ou coopératifs favorisent l’échange, la négociation, l’apprentissage des règles communes.
- Créativité : Expérimenter, imaginer, inventer des solutions inédites, le jeu démultiplie ces facultés.
- Réduction du stress : L’approche ludique transforme l’erreur en moteur d’apprentissage, dédramatisant l’échec.
Le système éducatif multiplie désormais les formats : jeux vidéo pédagogiques, serious games, dispositifs hybrides où simulation et collaboration s’entremêlent. Le marché du jeu éducatif explose, porté par l’innovation et l’appétit pour des solutions engageantes. Mais cette transformation interroge : comment préserver la part du plaisir, garantir l’efficacité et le sens dans les pratiques d’enseignement ? Derrière l’engouement, c’est tout un projet de société qui se dessine : celui d’un apprentissage vivant, ouvert, profondément humain.
Demain, le jeu continuera-t-il d’inventer de nouvelles façons d’apprendre ? L’histoire le montre : rien n’est plus sérieux, parfois, que de jouer.